Fondation Parada – Prévention à l’intention des victimes potentielles de traite humaine en Roumanie
La Fondation Parada, membre de Dynamo International – Street Workers Network, réalisera une formation « Prévention à l’intention des victimes potentielles de traite humaine en Roumanie » pour des jeunes mineur·e·s (12-18+ ans) institutionalisé·e·s.
Selon les données mises en évidence dans le rapport publié au mois de novembre 2020 par la Commission parlementaire chargée d’évaluer la situation de la traite des mineurs en Roumanie, selon les rapports issus en 2020 par le Département d’Etat des Etats-Unis et par la Commission européenne sur la même question, il est apparu que plus de 40% des victimes roumaines des réseaux de traite sont des filles qui proviennent des centres publiques d’aide à l’enfance, des centres qui sont parfois devenus, selon les médias roumains, de véritables plaques tournantes pour ces réseaux.
Pourtant, et en dépit de ce constat alarmant et des appels lancés par les associations de terrain et les médias, les autorités roumaines semblent faire la sourde oreille et tardent de lancer le moindre dispositif censé enrayer le phénomène et prévenir les victimes potentielles des dangers représentées par internet et autres stratégies utilisées par les rabatteurs.
Par cette initiative, la fondation PARADA entend donner une réponse adéquate et lancer une formation de prévention à l’intention des victimes potentielles, soit des jeunes ados (12-18+ ans) institutionnalisées, en utilisant pour ce faire les compétences de ses intervenants ainsi que l’expérience de vie et de lutte contre la traite de plusieurs jeunes femmes institutionalisées encore jusqu’à récemment, ainsi que d’une ancienne victime de la traite, Larisa Butnariu, qui, de par son âge et de par son expérience de vie, est la plus à même de pouvoir toucher le public cible pour faire passer le message.
Le projet pilote se déroulera ainsi à Bucarest, mais surtout à Iasi, la ville de Larisa, dans deux institutions de la DASS de Iasi, et visera au moins 20 ados, victimes potentielles de la traite.
Le projet pilote entend ainsi s’ériger en un projet de bonnes pratiques en la matière, voué à être repris et à pouvoir être ultérieurement répliqué à l’échelle nationale.
La prise en considération de la parole des victimes, voire impliquer des anciennes victimes de la traite pour avertir et préserver d’autres jeunes filles, qui se trouvent aujourd’hui dans leur situation d’alors, de tomber dans les mêmes pièges, font la force et l’inédit de cette proposition.
Ionut JUGUREANU, directeur
CONTEXTE ET CHIFFRES
En 2021, le Groupe d’experts sur l’action contre la traite des êtres humains (GRETA) du Conseil de l’Europe a exhorté la Roumanie à veiller à ce que les infractions de traite des personnes entraînent des sanctions efficaces et dissuasives, et à ce que les victimes de la traite aient accès à une indemnisation.
Selon le GRETA, « la Roumanie reste un pays d’origine des victimes de la traite des êtres humains. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni sont les principaux pays de destination. Le nombre de victimes identifiées par les autorités roumaines a diminué au fil des ans. Un total de 2 613 victimes ont été identifiées au cours de la période couverte par le rapport (2016-2019). Trois sur quatre étaient des femmes et la moitié des enfants, l’exploitation sexuelle demeurant le but le plus commun de la traite. »
L’indice mondial de l’esclavage montre que la Roumanie, avec 86.000 victimes de la traite, a l’un des taux les plus élevés d’esclavage moderne en Europe de l’Est et que la plupart des victimes sont victimes d’exploitation sexuelle. Cependant, l’esclavage moderne est courant dans les secteurs suivants, notamment l’agriculture, la construction, le lavage des voitures et l’entretien ménager. La traite des personnes en Roumanie est étroitement liée à la migration et englobe les activités suivantes, notamment la prostitution, la mendicité, le vol, le travail forcé et la culture d’organes. Il est particulièrement inquiétant de constater qu’environ 50 % des victimes de la traite sont des mineurs qui sont victimes d’exploitation sexuelle, qui se retrouvent en travail forcé ou qui se font prélever leurs organes.
Fin 2020, la Chambre des députés roumains a adopté une décision recommandant à la CSAT d’introduire dans la Stratégie nationale de défense du pays, comme objectif de sécurité nationale, la lutte contre la disparition des enfants et la traite des êtres humains. Le projet de décision est basé sur le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la situation des enfants disparus. Le rapport indique que 40 % des cas de mineurs disparus proviennent de centres de protection sociale, tels que les foyers d’accueil et les centres pour enfants handicapés, et que les mineurs sont victimes de traite à l’étranger, étant « acceptés » par les représentants de la direction de la DGPSA et « retirés ». au produit par les trafiquants » – https://media.hotnews.ro/media_server1/document-2020-11-24-24439437-0-raportul-comisiei.pdf
Le Rapport sur la traite des personnes de 2022 – https://ro.usembassy.gov/2022-trafficking-in-persons-report/ souligne que « le gouvernement de la Roumanie ne respecte pas entièrement les normes minimales pour l’élimination de la traite des personnes, mais il déploie des efforts importants pour y parvenir. (…) Toutefois, le gouvernement n’a pas respecté les normes minimales dans plusieurs domaines clés. La complicité présumée dans les crimes de trafic a persisté, en particulier avec les fonctionnaires qui exploitent les enfants dans les foyers ou les centres de placement gérés par le gouvernement. De nombreux trafiquants condamnés ont reçu des peines avec sursis ou des peines qui ne respectaient pas la peine minimale prescrite par la loi roumaine, ce qui a affaibli la dissuasion, ne reflétait pas adéquatement la nature du crime et nui aux efforts plus vastes de lutte contre la traite.
Les autorités ont identifié moins de victimes de la traite et n’ont pas examiné les indicateurs de la traite ni identifié les victimes parmi les populations vulnérables, telles que les demandeurs d’asile, les migrants, les personnes ayant des relations sexuelles commerciales ou les enfants dans les institutions gouvernementales. De plus, le gouvernement n’a pas fourni un financement suffisant aux ONG pour les services d’assistance et de protection, laissant la plupart des victimes sans services et exposées au risque de re-traite. (…)
Selon les ONG, dans les affaires de traite impliquant des victimes de migrants étrangers, les forces de l’ordre n’ont pas mis en œuvre efficacement la loi. Les forces de l’ordre ont souvent accusé les présumés trafiquants de crimes autres que le trafic, comme la complaisance, pour éviter des enquêtes longues, coûteuses et chronophages.
Le DIICOT et le DCCO ont continué de fonctionner avec un personnel et des ressources limités. (…) En 2021, le gouvernement a recensé 488 victimes (378 de la traite à des fins sexuelles, 42 de la traite des travailleurs, 68 non précisées), une baisse par rapport à 596 en 2020. Sur les 488 victimes, 171 étaient des enfants (255 en 2020). Les autorités ont identifié une victime étrangère, la même qu’en 2020, mais les observateurs ont estimé qu’il y avait de nombreuses victimes étrangères non identifiées, en particulier parmi les demandeurs d’asile. Les autorités des ONG n’ont pas évalué les indicateurs de la traite des demandeurs d’asile et des migrants étrangers et étaient réticentes à les identifier en raison du temps et des ressources considérables qu’une enquête nécessiterait. » Les fonctionnaires ont également reconnu que les défis, comme l’accès à l’aide et la protection des enfants dans les institutions gouvernementales, demeuraient. L’aide était conditionnelle au statut de victime de la traite. Seulement les deux tiers des victimes identifiées ont reçu de l’aide. (…)
Le financement public des services d’aide et de protection des ONG est resté limité. Bien que le gouvernement ait compté sur les ONG pour accommoder et aider les victimes, il n’a pas accordé de subventions directement aux ONG en raison de la législation interdisant le financement direct. La société civile a souligné la nécessité d’un mécanisme de financement pour les prestataires de services et autres ONG dans l’espace de lutte contre la traite. (…) Les ONG ont continué de signaler que la qualité des soins était globalement insuffisante, en particulier les services médicaux et les conseils psychologiques. Malgré la loi roumaine autorisant toutes les victimes à recevoir des soins psychologiques et médicaux, le gouvernement n’a pas fourni plus d’une séance de counseling en santé mentale et n’a pas financé les coûts des soins médicaux. (…) En général, les victimes manquaient de soutien adéquat dans les affaires criminelles. Les rapports d’intimidation des victimes pendant et après les procédures judiciaires persistaient. Les ONG ont rapporté que de nombreux tribunaux n’ont pas imposé de sanctions aux avocats des trafiquants lorsqu’ils harcelaient et se moquaient des victimes pendant les procédures. Les juges se sont beaucoup fiés au témoignage en personne de la victime, de préférence devant le trafiquant, ce qui a traumatisé davantage les victimes.
Le Conseil de l’Europe a constaté que les tribunaux roumains manquaient de pratiques nationales pour protéger les enfants victimes d’agression sexuelle. (…) La Roumanie reste l’un des principaux pays d’origine des victimes du trafic sexuel et du trafic de travailleurs en Europe. La grande majorité des victimes identifiées (77 %) en 2021 sont des victimes de la traite à des fins sexuelles. Les enfants représentent plus du tiers des victimes identifiées de la traite en Roumanie. Les responsables gouvernementaux et les ONG font état d’un recrutement accru d’enfants sur Internet et dans les médias sociaux en raison de la pandémie. Les médias allèguent l’exploitation sexuelle en ligne et les mauvais traitements infligés aux filles dès l’âge de 12 ans. Les enfants dans les institutions gouvernementales, en particulier les filles vivant dans des foyers et des centres de placement pour personnes handicapées, restent vulnérables au trafic sexuel. Plusieurs ONG notent que d’anciens résidents de foyers ou de centres résidentiels gérés par le gouvernement servent de recruteurs de filles mineures provenant des mêmes installations. Les trafiquants exploitent les enfants roms dans le trafic sexuel et la mendicité forcée. Les mauvais traitements infligés aux enfants par le travail continuent d’être sous-déclarés, les enfants d’à peine cinq ans étant exploités par le travail des enfants. (…)
Depuis le début de la nouvelle invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les réfugiés ukrainiens, principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées, qui traversent la frontière roumaine à la recherche d’un refuge, sont très vulnérables à la traite des personnes ; environ 80 000 restent dans le pays, et plus du tiers sont des enfants. Bon nombre de ces migrants peuvent être ou devenir des victimes de la traite pendant leur séjour en Roumanie. »
RECOMMANDATIONS PRIORITAIRES
Rapport 2022 du département d’État USA sur la traite des personnes
- Identifier proactivement les victimes potentielles, en particulier parmi les populations vulnérables, telles que les demandeurs d’asile, les migrants, les personnes ayant des rapports sexuels commerciaux et les enfants dans les établissements gérés par le gouvernement, en améliorant la formation des policiers sur la reconnaissance des indicateurs d’exploitation.
- Accroître considérablement la qualité et la disponibilité des services spécialisés aux victimes pour les adultes et les enfants, comme un meilleur accès à l’aide médicale et psychologique.
- Enquêter vigoureusement sur les allégations de complicité – y compris de complicité dans les établissements de garde d’enfants – et poursuivre et condamner les responsables de complicité en vertu de la loi sur la traite ; les tenir responsables en infligeant des peines de prison importantes.
- Adopter une loi pour permettre le soutien financier aux ONG pour les services aux victimes et élaborer et instituer un mécanisme officiel d’administration des fonds.
- Augmenter le nombre de policiers qui enquêtent sur les crimes de traite et d’enquêteurs financiers spécialisés dans les affaires de traite.
- Accroître les efforts pour faire appliquer les lois sur le travail des enfants, en particulier dans les zones rurales et où les services sociaux manquent de personnel et de capacité pour traiter les violations.
- Sanctionner les agences de recrutement avec des sanctions pénales pour les pratiques contribuant à la traite, telles que l’imposition de frais de recrutement aux travailleurs.
- Fournir des conseils juridiques éclairés et des mesures de protection dans les salles d’audience aux victimes qui participent aux poursuites, notamment en exemptant les victimes de confrontations en personne avec leurs auteurs présumés de la traite.
- Former les inspecteurs du travail pour détecter le trafic de travail et leur accorder l’autorisation légale de mener des inspections inopinées sur tous les chantiers.
- Accroître les efforts pour former les fonctionnaires qui participent aux procédures judiciaires, en particulier les juges, sur le travail avec les affaires de traite et les victimes, la sensibilisation aux questions de traite et la compréhension de toutes les formes de traite.
- Former les responsables de l’application de la loi sur la collaboration avec les victimes, la collecte de preuves et la compréhension de la coercition psychologique, et intégrer cette compréhension dans les réponses pangouvernementales. »
Les ONG rejoignent et soutiennent les recommandations adressées au gouvernement roumain par le Département d’État américain. Ces recommandations ont également été formulées à la suite des informations fournies par les ONG au Département d’État américain.
Le problème le plus aigu consiste actuellement, à notre avis, dans l’incapacité des autorités à assurer le suivi des 80,000 réfugiés ukrainiens qui se sont installés à moyen / long terme sur le territoire roumain, mais aussi des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens qui continuent de transiter par notre pays, de et vers l’Ukraine. Les enfants ukrainiens établis en Roumanie ne sont pas scolarisés malgré la législation en vigueur, et leur présence et leur situation générale ne sont pas surveillées par les services sociaux locaux. Le risque d’exploitation du travail ou le risque de réseaux de trafic ukrainiens agissant librement sur le territoire roumain sont évidents, en l’absence d’une stratégie cohérente pour l’intégration des réfugiés ukrainiens, correctement budgétés et surveillés à partir du niveau central.
Le nombre réel de victimes de la traite est largement sous-estimé et la protection qui leur est accordée est insuffisante.
Les campagnes de prévention initiées par les autorités sont insuffisantes, mal ciblées, et leur évaluation de l’efficacité fait défaut. Les campagnes de prévention initiées par les ONG ne sont ni soutenues ni financées par l’État, tout comme les services que les ONG fournissent aux victimes, reconnus ou potentiels.
Le témoignage des victimes, qui ne sont pas consultées, est ignoré lorsque le gouvernement établit sa stratégie et ses priorités sur le terrain.
En général, le gouvernement continue de sous-estimer l’ampleur du phénomène, et ignorant les ONG et les victimes, le gouvernement semble plus préoccupé par leurs revendications, que de les considérer comme des partenaires de combat dans la lutte contre le phénomène.